Gestion catastrophique d’une SCI : la désignation d’un mandataire ad’hoc

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L’affaire concerne un litige au sein de la SCI Le Ponterle, une SCI familiale gérée par deux associés, Mme [I] [V] et M. [E] [V]. Mme [I] [V] dénonce une gestion catastrophique de la SCI par son frère, le gérant, invoquant une situation déficitaire et une mésentente entre associés. Elle a demandé la désignation d’un mandataire ad’hoc pour clarifier les comptes, réaliser un audit du patrimoine et céder les actifs. Le Tribunal Judiciaire de Lyon a rejeté sa demande, estimant que la gestion de la SCI par M. [E] [V] était satisfaisante. Mme [I] [V] a fait appel de cette décision, demandant la désignation d’un mandataire ad’hoc ou d’un administrateur judiciaire pour gérer la SCI et céder les actifs. Elle conteste la gestion de son frère, les retards de paiement, les dettes et les risques financiers pour la SCI. La SCI Le Ponterle n’a pas conclu.

La solution juridique apportée à cette affaire est la suivante:

– La demande de désignation d’un mandataire ad’hoc est rejetée car les missions demandées excèdent les attributions d’un tel mandataire.
– La demande de désignation d’un administrateur judiciaire est également rejetée car les circonstances ne justifient pas une telle mesure.
– Les autres demandes de la partie requérante sont rejetées et elle est condamnée aux dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’à payer une somme de 2’000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

1. Lorsque vous ne concluez pas dans une procédure judiciaire, vous risquez de vous voir attribuer les motifs du jugement et de demander la confirmation de celui-ci. Il est donc important de conclure de manière claire et précise pour défendre vos intérêts.

2. La désignation d’un mandataire ad’hoc doit être justifiée par la nécessité de prévenir un dommage imminent ou de faire cesser un trouble illicite. Assurez-vous que la mission confiée au mandataire ad’hoc est déterminée et ne porte pas atteinte à la gestion courante de la société.

3. La désignation d’un administrateur judiciaire est une mesure exceptionnelle qui nécessite la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d’un péril imminent. Assurez-vous que les conditions pour une telle désignation sont remplies avant de faire une demande en ce sens.

MOTIFS

Le dernier alinéa de l’article 954 du Code de procédure civile prévoit que la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motifs.

En l’espèce, la SCI Le Ponterle n’a pas conclu. Il s’ensuit que la société intimée est réputée demander la confirmation du jugement et s’en approprier les motifs.

Sur la demande de désignation d’un mandataire ad’hoc’

La désignation d’un mandataire ad’hoc peut être ordonnée en référé pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble illicite.

Elle suppose que la situation paraisse pouvoir trouver une solution par l’accomplissement d’une mission déterminée, sans que l’administration courante de la société soit entravée. En l’espèce, Mme [I] [V] sollicite, sur le fondement de l’article L.611-3 du Code de commerce, la désignation d’un mandataire ad’hoc afin que ce dernier se voit confier les missions suivantes, telles qu’énoncées au dispositif de ses écritures’:

«’Faire un état des comptes sociaux de la SCI LE PONTERLE et des mouvements ou prélèvements financiers opérés par Monsieur [E] [V] dans les comptes de la SCI LE PONTERLE sur les cinq derniers exercices et si nécessaire solliciter toute expertise financière à cet effet ;

Gérer les comptes bancaires et le patrimoine de la SCI LE PONTERLE jusqu’à la cession des actifs détenus par la SCI LE PONTERLE ;

Faire un état des dettes sociales de la SCI LE PONTERLE et, le cas échéant, négocier avec les créanciers sociaux de la société afin d’obtenir des délais de paiement évitant une cessation des paiements la SCI LE PONTERLE ;

Procéder et superviser la cession de l’ensemble des actifs de la SCI LE PONTERLE dans les meilleures conditions financières afin de totalement désintéresser les créanciers sociaux et d’en distribuer le surplus aux associés, chacun par moitié.’»

La première de ces missions, consistant à «’faire un état des compte sociaux’», est une mission déterminée en ce sens notamment qu’elle n’est de nature, ni à entraver la gestion courante de la société, ni à déposséder le gérant de ses attributions. Néanmoins, par sa nature, qui suppose une analyse des comptes et non pas une simple communication, et par son ampleur, une telle mission n’entre pas dans les attributions d’un mandataire ad’hoc mais plutôt dans celles d’un technicien ou expert. Les trois autres missions sollicitées sont clairement de nature à entraver la gestion de la société par M. [E] [V]. En conséquence, la demande de désignation de mandataire ad’hoc est rejetée.

Sur la demande de désignation d’un administrateur judiciaire’

Selon l’article L.811-1 du Code de commerce, les administrateurs judiciaires sont les mandataires chargés par décision de justice d’administrer les biens d’autrui ou d’exercer des fonctions d’assistance ou de surveillance dans la gestion de ces biens.

La désignation judiciaire d’un administrateur provisoire est une mesure exceptionnelle qui suppose de rapporter la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d’un péril imminent. En l’espèce, les circonstances ne justifient pas la désignation d’un administrateur judiciaire, et la demande est rejetée.

Sur les autres demandes’

La Cour confirme la décision déférée qui a condamné Mme [I] [V] aux dépens de première instance et à payer à la SCI Le Ponterle une somme sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile. La cour condamne également Mme [I] [V] aux dépens à hauteur d’appel.

Réglementation applicable

– Code de procédure civile
– Code de commerce

Avocats et magistrats intervenants

– Me Romain LAFFLY
– Me Pascale DRAI-ATTAL
– Me Agnès DERDERIAN

Mots-clefs

– Motifs
– Code de procédure civile
– Partie
– Jugement
– Conclusion
– Confirmation
– Mandataire ad’hoc
– Mission
– Comptes sociaux
– Expertise financière
– Gestion
– Cession d’actifs
– Désintéresser les créanciers
– Administrateur judiciaire
– Biens immobiliers
– Location
– Prêt
– Déficitaire
– Retards de paiement
– Solvabilité
– Dépens
– Article 700 du Code de procédure civile

Définitions juridiques

– Motifs: Raisons ou justifications pour lesquelles une décision est prise ou un acte est posé.
– Code de procédure civile: Ensemble des règles régissant la procédure civile devant les juridictions.
– Partie: Personne impliquée dans un procès judiciaire, que ce soit le demandeur, le défendeur ou un tiers intervenant.
– Jugement: Décision rendue par un tribunal à l’issue d’un procès.
– Conclusion: Dernière partie d’un acte de procédure dans laquelle les parties exposent leurs demandes ou leurs prétentions.
– Confirmation: Validation ou approbation d’une décision ou d’un acte.
– Mandataire ad’hoc: Personne désignée par le tribunal pour représenter et défendre les intérêts d’une personne incapable de le faire elle-même.
– Mission: Tâche ou responsabilité confiée à une personne ou à un organisme.
– Comptes sociaux: Documents comptables présentant la situation financière d’une entreprise.
– Expertise financière: Analyse réalisée par un expert en finance pour évaluer la situation financière d’une entreprise.
– Gestion: Ensemble des actions visant à administrer et à diriger une entreprise ou une organisation.
– Cession d’actifs: Transfert de propriété d’un bien ou d’un actif d’une personne à une autre.
– Désintéresser les créanciers: Rembourser les dettes ou les créances des créanciers.
– Administrateur judiciaire: Personne chargée par le tribunal de gérer les affaires d’une entreprise en difficulté financière.
– Biens immobiliers: Propriétés ou terrains qui ne peuvent être déplacés.
– Location: Contrat par lequel une personne loue un bien à une autre en échange d’un loyer.
– Prêt: Somme d’argent mise à disposition d’une personne par un prêteur, à rembourser avec intérêts.
– Déficitaire: Situation financière d’une entreprise dont les dettes dépassent les actifs.
– Retards de paiement: Non-respect des délais de paiement convenus.
– Solvabilité: Capacité d’une personne ou d’une entreprise à honorer ses dettes.
– Dépens: Frais engagés dans le cadre d’une procédure judiciaire.
– Article 700 du Code de procédure civile: Disposition légale permettant au juge de condamner une partie à verser une somme à l’autre pour ses frais de justice.

Montants / Préjudice

– Mme [I] [V] est condamnée aux dépens de l’instance d’appel

Parties impliquées

– S.C.I. SCI LE PONTERLE

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

N° RG 23/01017 – N° Portalis DBVX-V-B7H-OYWO

Décision du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LYON

Référé du 02 janvier 2023

RG : 22/00736

[V]

C/

S.C.I.. SCI LE PONTERLE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

8ème chambre

ARRÊT DU 24 Janvier 2024

APPELANTE :

Mme [I] [V]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LX LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938

Ayant pour avocat plaidant Me Pascale DRAI-ATTAL, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

La SCI LE PONTERLE, société civile immobilière au capital de 39 637 euros, immatriculée au Registre du Commerce des Sociétés de LYON sous le numéro 321 658 171, dont le siège social est situé [Adresse 5],

représentée par son représentant légal en exercice, Monsieur [E] [V], gérant.

Représentée par Me Agnès DERDERIAN, avocat au barreau de LYON, toque : 235

* * * * * *

Date de clôture de l’instruction : 05 Décembre 2023

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 05 Décembre 2023

Date de mise à disposition : 24 Janvier 2024

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

– Bénédicte BOISSELET, président

– Véronique MASSON-BESSOU, conseiller

– Véronique DRAHI, conseiller

assistés pendant les débats de William BOUKADIA, greffier

A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Bénédicte BOISSELET, président, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

La SCI Le Ponterle est une SCI familiale qui a été constituée en 1975 pour l’exploitation de biens immobiliers dont deux bâtiments à usage multiples, un hangar et un terrain situé [Adresse 5] VALEUR 540’000 €.

Depuis le décès en 2010 de Mme [K] [J] veuve de M. [C] [V], lui-même décédé en 2003, la SCI Le Ponterle compte deux associés, Mme [I] [V] et M. [E] [V], ce dernier en étant le gérant.

Dénonçant une gestion catastrophique de la SCI (non-renouvellement des locations des bâtiments industriels de Saint-Pierre-La-Palud, absence de location de l’appartement de La Clusaz, retards systématiques de paiements des charges et impôts, accumulation de dettes, désistement de l’expert-comptable, ‘), une situation devenue déficitaire (soit des revenus annuels de l’ordre de 6’000 € pour des charges annuelles de 30’000 €) et invoquant une mésentente entre associés, Mme [I] [V] a, par courrier de son conseil en date du 17 janvier 2022, mis en demeure son frère, M. [E] [V], de vendre les deux biens immobiliers afin de désintéresser les créanciers et de partager la soulte.

Faisant valoir que la mauvaise gestion qu’elle dénonce depuis son retour en France en 2018 n’était plus tenable compte tenu des risques pesant sur elle en sa qualité d’associée tenue solidairement des dettes sociales et estimant que la désignation d’un mandataire ad’hoc était indispensable pour clarifier les comptes, réaliser un audit du patrimoine et céder les actifs, Mme [I] [V] a, par acte du 20 avril 2022, fait assigner la SCI Le Ponterle devant la formation de référé du Tribunal Judiciaire de Lyon.

Par ordonnance de référé rendue contradictoirement le 2 janvier 2023, le président du Tribunal Judiciaire de Lyon a statué ainsi’:

Rejetons les demandes de [I] [V],

Condamnons [I] [V] au dépens,

Condamnons [I] [V] à pauyer à la société Le Ponterle la somme de 2’000 € en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

Le juge a retenu’:

Que la demande porte, non pas sur la désignation d’un mandataire ad’hoc prévue à l’article L.611-3 du Code de commerce à la demande d’un débiteur, mais sur celle d’un administrateur judiciaire avec mission de gestion jusqu’à la cession des actifs ce qui suppose la démonstration de circonstances compromettant les intérêts sociaux’;

Que la SCI Le Ponterle est une SCI familiale entre le frère et la s’ur qui est gérée par M. [E] [V] depuis le décès des parents’;

Que les locaux industriels situés à [Localité 4], vieillissants, ne sont plus occupés actuellement que par deux locataires (les rendez-vous mécaniques et l’association Moto [Y] [V]) pour des loyers modiques et qu’il est envisagé des aménagements autorisant l’accès au public pour y organiser des événements culturels ou festifs’;

Que l’un des appartements de [Localité 3] a été vendu pour permettre de limiter le remboursement dû au Crédit Mutuel dont le prêt a été soldé en août 2022 (DONC EN COURS D’INSTANCE)’;

Que le gérant justifie de sa demande de remboursements de TVA pour un montant de 23’000 € par un courriel du 26 mai 2022 (DONC EN COURS D’INSTANCE)’;

Que dès lors, M. [E] [V] justifie suivre la gestion de la SCI de manière satisfaisante puisque les comptes annuels de 2018 et 2019 étaient légèrement bénéficiaires, avoir une bonne connaissance des enjeux et il dispose d’un patrimoine personnel qu’il n’hésite pas à engager pour faire face aux difficultés’;

Qu’à l’inverse, Mme [I] [V] a mis en location un des appartements de La Clusaz en 2013 sans reverser le montant des loyers à la SCI et qu’elle ne se propose pas de prendre la gestion’;

Que la SCI ne dégage pas suffisamment de revenus pour que soit envisagé d’en confier la gestion à un administrateur, alors que M. [E] [V] en assure la gestion sans faille d’importance’;

Qu’en tout état de cause, le fonctionnement de la société ne connaît aucune paralysie ni péril imminent.

Par déclaration en date du 9 février 2023, Mme [I] [V] a relevé appel de cette décision en tous ses chefs et, par avis de fixation du 9 mars 2023 pris en vertu de l’article 905 et suivants du Code de procédure civile, l’affaire a été fixée à bref délai.

***

Aux termes de ses écritures remises au greffe par voie électronique le 6 avril 2023 et signifiée à son adversaire le 12 avril 223 (conclusions d’appelante), Mme [I] [V] demande à la cour’:

Vu les articles L.611-3 et L.811-1 du Code de commerce,

Vu la jurisprudence citée,

Vu les pièces versées aux débats,

INFIRMER entièrement l’ordonnance de référé rendue par le président du Tribunal judiciaire de Lyon le 2 janvier 2023,

En conséquence, statuant à nouveau, à titre principal : DESIGNER un mandataire ad’hoc, aux frais exclusifs de la SCI LE PONTERLE, dont la mission sera de :

Faire un état des comptes sociaux de la SCI LE PONTERLE et des mouvements ou prélèvements financiers opérés par Monsieur [E] [V] dans les comptes de la SCI LE PONTERLE sur les cinq derniers exercices et si nécessaire solliciter toute expertise financière à cet effet ;

Gérer les comptes bancaires et le patrimoine de la SCI LE PONTERLE jusqu’à la cession des actifs détenus par la SCI LE PONTERLE ;

Faire un état des dettes sociales de la SCI LE PONTERLE et, le cas échéant, négocier avec les créanciers sociaux de la société afin d’obtenir des délais de paiement évitant une cessation des paiements par la SCI LE PONTERLE ;

Procéder et superviser la cession de l’ensemble des actifs de la SCI LE PONTERLE dans les meilleures conditions financières afin de totalement désintéresser les créanciers sociaux et d’en distribuer le surplus aux associés, chacun par moitié ;

A titre subsidiaire, en cas de confirmation du rejet de la demande de désignation d’un mandataire ad’hoc : DÉSIGNER un administrateur judiciaire, aux frais exclusifs de la SCI LE PONTERLE, dont la mission sera de :

Faire un état des comptes sociaux de la SCI LE PONTERLE et des mouvements ou prélèvements financiers opérés par Monsieur [E] [V] dans les comptes de la SCI LE PONTERLE sur les cinq derniers exercices et si nécessaire solliciter toute expertise financière à cet effet ;

Gérer les comptes bancaires et le patrimoine de la SCI LE PONTERLE jusqu’à la cession des actifs détenus par la SCI LE PONTERLE ;

Faire un état des dettes sociales de la SCI LE PONTERLE et, le cas échéant, négocier avec les créanciers sociaux de la société afin d’obtenir des délais de paiement évitant une cessation des paiements par la SCI LE PONTERLE ;

Procéder et superviser la cession de l’ensemble des actifs de la SCI LE PONTERLE dans les meilleures conditions financières afin de totalement désintéresser les créanciers sociaux et d’en distribuer le surplus aux associés, chacun par moitié ;

En tout état de cause :

CONDAMNER la SCI LE PONTERLE au paiement d’une somme de 7’500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

CONDAMNER la SCI LE PONTERLE aux entiers dépens, distrait au profit de de la SARL LAFFLY & ASSOCIES ‘ LEXAVOUE LYON Avoué, par application de l’article 699 du Code de procédure civile.

En fait, elle y expose avoir vécu à l’étranger plusieurs années mais que, depuis son retour en France en 2018, elle n’a eu de cesse d’alerter son frère sur la mauvaise gestion de la SCI qu’ils détiennent à deux et en particulier sur les graves risques financiers qui en découlent. Elle précise qu’elle est régulièrement relancée par les créanciers de la SCI car son frère paie les charges avec retard.

En droit, elle fonde sa demande, présentée à titre principal, de désignation d’un mandataire ad’hoc, sur l’article L.611-19 du Code de commerce, tel qu’interprété par la cour de cassation, qui considère que la preuve d’un péril imminent n’est pas nécessaire dès lors que la simple mésentente entre associés et l’absence de tenue d’assemblée générale suffisent à rendre impossible le fonctionnement normal de la société.

Elle souligne d’abord que la mission qu’elle entend voir confier à ce mandataire ad’hoc entre dans les prévisions du Code de commerce qui ne prévoit pas de mission spécifique, sollicitant pour sa part de lui voir confier une mission ponctuelle afin de faire un état des lieux et d’envisager le paiement des créanciers.

Elle fait ensuite valoir les risques d’insuffisances d’actifs de la SCI puisque, malgré des mises en garde, la situation financière de celle-ci ne cesse de se dégrader, sa santé économique étant désormais engagée puisqu’elle ne génère plus de recettes alors que son activité est la location de terrains et de biens immobiliers.

Elle estime que les baux, subitement consentis en 2022 à l’association Moto [Y] [V] et à l’association les Rendez-vous mécaniques, ont été établi pour les besoins de la cause de l’instance en référés.

Elle indique que la mairie de [Localité 4] a refusé que les hangars soient déclarés comme établissements recevant du publics et le SPANC (service public d’assainissement non-collectif) a alerté sur le côté non-opérationnel des installations de bâtiments industriels classés monuments historiques.

En tout état de cause, elle observe qu’il n’y a jamais eu d’assemblée générale pour discuter d’éventuelles mises aux normes. Elle en conclut que cette gestion sans transparence peut à terme lui être préjudiciable puisque la SCI dispose d’une trésorerie qui s’amenuise d’exercice en exercice. Enfin, elle conteste que son frère soit en mesure d’engager son patrimoine personnel puisqu’il est en instance de divorce de sorte que les risques de faillite sont réels.

Elle dénonce la mauvaise gestion de la SCI par son frère puisque la SCI n’est pas en mesure de rembourser les prêts qu’elle a contractés. Elle ajoute que le protocole d’accord signé avec le Crédit Mutuel en avril 2020 n’a pas été respecté par [E] [V] de sorte qu’à tout moment, le créancier peut solliciter la vente aux enchères de l’appartement situé à [Localité 3].

Elle ajoute que les impayés chroniques et retards de paiement démontrent l’incapacité de la SCI à faire face à ses charges, compte tenu notamment de l’arriéré de charges d’impôts fonciers et de taxes d’ordures ménagères. Elle stigmatise également les travaux réalisés sur le bâtiment industriel de La Mine, sans permis de construire et sans la solvabilité suffisante, payés après intervention d’un huissier de justice.

Elle en conclut que le juge des référés ne pouvait pas considérer que la gestion était satisfaisante. Elle observe que le cabinet comptable refuse d’intervenir, sans que le différend sur les honoraires ne justifie l’absence d’expert comptable actuellement, et que les dépenses ne paraissent pas concerner la SCI (frais d’internet, frais de télépéage, …). Elle rappelle être la seule associée de la SCI solvable, s’inquiétant de la déclaration de saisie de 64’678 € comme tiers détenteur par le Trésor public.

Elle dénonce l’utilisation non-conforme des revenus de la SCI puisque son frère ne loue pas l’appartement de La Clusaz, occupe le bien situé à La Mine. Elle précise qu’elle souhaite pour sa part signer des mandats de vente de ces deux biens évalués respectivement à 445’000 € et 575’000 €. Elle expose que plutôt que d’affecter le prix de vente du second appartement de [Localité 3], son frère a préféré signer un protocole d’accord avec le Crédit Mutuel.

Elle expose que, pour sa part, elle souhaite depuis 10 ans la vente des biens immobiliers pour solder les dettes de la SCI. Elle estime que son frère utilise ou utilisait les SCI pour contourner les interdits bancaires dont il ferait personnellement l’objet.

Elle considère que la mésentente entre associés, qui ne s’entendent plus sur l’avenir et la gestion de leur société, justifie la désignation d’un mandataire ad’hoc.

A titre subsidiaire, elle sollicite la désignation d’un administrateur judiciaire sur le fondement de l’article L.811-1 du Code de commerce qui suppose l’existence d’un péril imminent et des circonstances rendant le bon fonctionnement de la société impossible.

Elle considère que ces deux conditions sont remplies compte tenu, d’une part, des retards de paiement et l’absence de patrimoine personnel de M. [E] [V] pour y faire face compte de l’instance de divorce en cours, et d’autre part, de la mésentente des associés.

***

La SCI Le Ponterle, qui s’est vu signifier la déclaration d’appel le 12 avril 2023 par procès-verbal déposé à l’étude et qui a constitué avocat le 12 juin 2023, n’a pas conclu.

***

Il est renvoyé aux écritures de la partie appelante pour plus ample exposé des moyens venant à l’appui de ses prétentions.

La clôture a été fixée le 5 décembre 2023, date à laquelle l’affaire a été appelée pour être mise en délibéré à ce jour.

MOTIFS,

Le dernier alinéa de l’article 954 du Code de procédure civile prévoit que la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motifs.

En l’espèce, la SCI Le Ponterle n’a pas conclu. Il s’ensuit que la société intimée est réputée demander la confirmation du jugement et s’en approprier les motifs.

Sur la demande de désignation d’un mandataire ad’hoc’:

La désignation d’un mandataire ad’hoc peut être ordonnée en référé pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble illicite.

Elle suppose que la situation paraisse pouvoir trouver une solution par l’accomplissement d’une mission déterminée, sans que l’administration courante de la société soit entravée. En effet, à la différence d’un mandataire provisoire chargé d’une mission de représentation de la société et dessaisissement corrélatif de l’organe légal de représentation, le mandataire ad’hoc se voit confier une mission ponctuelle d’accomplir un acte déterminé.

En l’espèce, Mme [I] [V] sollicite, sur le fondement de l’article L.611-3 du Code de commerce, la désignation d’un mandataire ad’hoc afin que ce dernier se voit confier les missions suivantes, telles qu’énoncées au dispositif de ses écritures’:

«’Faire un état des comptes sociaux de la SCI LE PONTERLE et des mouvements ou prélèvements financiers opérés par Monsieur [E] [V] dans les comptes de la SCI LE PONTERLE sur les cinq derniers exercices et si nécessaire solliciter toute expertise financière à cet effet ;

Gérer les comptes bancaires et le patrimoine de la SCI LE PONTERLE jusqu’à la cession des actifs détenus par la SCI LE PONTERLE ;

Faire un état des dettes sociales de la SCI LE PONTERLE et, le cas échéant, négocier avec les créanciers sociaux de la société afin d’obtenir des délais de paiement évitant une cessation des paiements la SCI LE PONTERLE ;

Procéder et superviser la cession de l’ensemble des actifs de la SCI LE PONTERLE dans les meilleures conditions financières afin de totalement désintéresser les créanciers sociaux et d’en distribuer le surplus aux associés, chacun par moitié.’»

La première de ces missions, consistant à «’faire un état des compte sociaux’», est une mission déterminée en ce sens notamment qu’elle n’est de nature, ni à entraver la gestion courante de la société, ni à déposséder le gérant de ses attributions.

Néanmoins, par sa nature, qui suppose une analyse des comptes et non pas une simple communication, et par son ampleur, puisqu’elle est sollicitée pour les 5 derniers exercices, une telle mission n’entre pas dans les attributions d’un mandataire ad’hoc mais plutôt dans celles d’un technicien ou expert dont la désignation relèverait de l’article 145 du Code de procédure civile.

Il incombe en conséquence à Mme [I] [V] de solliciter directement une telle mesure d’instruction si elle l’estime nécessaire, sans qu’il ne soit justifié de faire porter cette demande par l’intermédiaire d’un mandataire ad’hoc.

Les trois autres missions sollicitées, compte tenu de leur généralité et de leur objet même, sont clairement de nature à entraver la gestion de la société par M. [E] [V]. En effet, la mission générale tendant à «’gérer les comptes bancaires et le patrimoine de la SCI’» revient clairement à déposséder le gérant statutaire de son mandat. La mission tendant à «’faire un état des dettes sociales et, le cas échéant, négocier avec les créanciers des délais de paiement’» est trop générale dès lors que Mme [I] [V] ne précise pas quelles dettes sociales nécessiteraient l’intervention d’un mandataire ad’hoc. Enfin, la mission tendant à «’procéder et superviser la cession de l’ensemble des actifs de la SCI’» revient à solliciter la dissolution de la SCI, ce qui excède à l’évidence les attributions d’un mandataire ad’hoc.

A la lueur de ces éléments et sans qu’il soit besoin d’examiner si Mme [I] [V] rapporte la preuve de la nécessité de prévenir un dommage imminent ou de faire cesser un trouble illicite, la demande de désignation de mandataire ad’hoc ne peut qu’être rejetée.

L’ordonnance attaquée, en ce qu’elle a relevé que la mission de gestion jusqu’à la cession des actifs de la SCI que Mme [I] [V] souhaitait voir confier à un mandataire ad’hoc relevait en réalité d’une demande de désignation d’un administrateur judiciaire, sera ainsi confirmée.

Sur la demande de désignation d’un administrateur judiciaire’:

Selon l’article L.811-1 du Code de commerce, les administrateurs judiciaires sont les mandataires, personnes physiques ou morales, chargés par décision de justice d’administrer les biens d’autrui ou d’exercer des fonctions d’assistance ou de surveillance dans la gestion de ces biens.

La désignation judiciaire d’un administrateur provisoire est une mesure exceptionnelle qui suppose de rapporter la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d’un péril imminent.

En l’espèce, la SCI Le Ponterle est actuellement propriétaire de deux biens immobiliers situés, l’un à Saint-Pierre-la-Palud, l’autre à La Clusaz.

Mme [I] [V] déplore d’abord l’absence de mise en location des locaux industriels de [Localité 4].

A cet égard et aux termes d’un courrier reçu le 27 janvier 2022 par l’avocat de l’appelante, M. [E] [V] a confirmé que le locataire principal des locaux de [Localité 4], qui louait 80 % de la surface, avait quitté les lieux en juillet 2019.

Le gérant explique dans ce même courrier qu’à raison de la vétusté des locaux, des travaux devaient être entrepris et une modification de leur affectation pouvait être envisagée en lien avec la mairie pour y développer des activités événementielles.

L’appelante verse elle-même aux débats le courrier que M. [E] [V] a adressé à la Mairie le 15 décembre 2021 attestant des démarches actives du gérant de la SCI en vue notamment d’une modification du PLU. Ces éléments, s’ils témoignent d’un différend entre les associés concernant l’opportunité et la faisabilité du projet d’affectation des lieux, ne caractérisent pas l’impossibilité de fonctionnement de la société et le péril imminent menaçant celle-ci. La désignation d’un administrateur judiciaire n’est en tout état de cause pas une mesure adaptée pour résoudre ce différend.

En tout état de cause, il résulte de l’ordonnance de référé attaquée que dans l’attente de l’aboutissement des démarches du gérant, la SCI Le Ponterle perçoit des loyers, même modestes, puisque les locaux litigieux sont loués à l’association Moto [Y] [V]. Il résulte en outre des pièces produites que M. [E] [V] a entrepris les travaux s’avérant nécessaires de sorte que la défaillance de gestion alléguée n’est pas établie.

Mme [I] [V] déplore ensuite l’absence de location de l’appartement de [Localité 3] et la circonstance que le prêt ayant financé ce bien ne soit plus payé.

Or, l’on comprend des explications données par M. [E] [V] aux termes de son courrier du 27 janvier 2022 que l’absence de location de cet appartement serait une décision commune des associés ayant permis à Mme [I] [V] d’y séjourner pendant une longue période. Surtout, il résulte de l’ordonnance de référé attaquée que le prêt ayant permis de financer ce bien acquis en 2007, pour lequel la banque disposait d’un titre exécutoire pour avoir fait homologuer un protocole d’accord signé en 2020 par les parties, a été définitivement soldé en août 2022.

Dès lors, le grief formulé en termes généraux par Mme [I] [V], selon lequel la SCI Le Ponterle ne serait pas en mesure de rembourser les prêts qu’elle a contractés, est démenti et le péril imminent, qui résultait effectivement des poursuites engagées par le prêteur, est désormais écarté puisque la dette est soldée.

Plus généralement, Mme [V] fait valoir que la SCI Le Ponterle est devenue déficitaire, ce que M. [E] ne conteste pas dans son courrier en réponse du 27 janvier 2022 mais le gérant précise qu’il s’emploie à y remédier, le cas échéant en payant les dettes avec ses fonds personnels comme il l’a toujours fait.

Concernant les retards systématiques de paiement par M. [E] [V], ils sont parfaitement avérés par les pièces produites par Mme [V] mais ce mode de gestion erratique n’est pas nouveau puisque les retards dont la preuve est rapportée s’étalent entre 2013 et 2023.

En réalité, le courriel que M. [E] [V] a adressé à sa s’ur en 2013 éclairait déjà le fonctionnement à l’oeuvre et si cette gestion de la SCI est critiquable compte tenu des pénalités de retard générées et si les modalités de prise de décisions interrogent, la preuve d’un péril imminent n’est pas pour autant rapportée.

En particulier, l’appelante procède par affirmation lorsqu’elle soutient que son frère serait en instance de séparation ce qui obérerait sa propre solvabilité, qu’il serait interdit bancaire et qu’il ferait un usage des revenus de la SCI pour ses besoins personnels, aucune des pièces produites ne venant étayer ces allégations.

Étant relevé qu’aux termes de son courrier du 27 janvier 2022, M. [E] [V] précisait qu’il était prêt à envisager le rachat des parts de sa s’ur, la cour constate que les conditions de la désignation d’un administrateur judiciaire ne sont pas remplies de sorte que l’ordonnance de référé attaquée, en ce qu’elle a rejeté la demande de désignation d’un tel administrateur, est confirmée.

Sur les autres demandes’:

La Cour confirme la décision déférée qui a condamné Mme [I] [V], partie perdante aux dépens de première instance et à payer à la SCI Le Ponterle la somme de 2’000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Y ajoutant, la cour condamne Mme [I] [V], partie perdante, aux dépens à hauteur d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme l’ordonnance de référé rendue le 2 janvier 2023 par la Vice-Présidente du Tribunal Judiciaire de Lyon en toutes ses dispositions,

Y ajoutant, condamne Mme [I] [V] aux dépens de l’instance d’appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT